Page:Quinet - Œuvres complètes, Tome VIII, 1858.djvu/280

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Rien, rien, je te jure. Une de ces fautes légères que le matin on commet, et que le soir on oublie.



Rachel.

Tes yeux me brûlent. Dieu ! Qu’as-tu fait ? Dis-le moi.



Ahasvérus.

Encore une fois, presque rien, mon enfant ; ne pense plus à cela ; quel est l’homme qui pourrait dire à sa vie, quand elle est pleine : il n’y a pas une goutte de trop dans ta coupe ?



Rachel.

Tes lèvres pâlissent. Il semble qu’elles disent une chose et ton cœur une autre. Est-ce que tu as été maudit ? Avoue-le ; dis-le moi.

J’embrasserai tes pieds.



Ahasvérus.

Mon amour, y a-t-il un homme qui n’ait pas été maudit, au moins une fois, avant de naître ? Maudit dans son cœur, ou maudit dans sa tête ? Maudit sur sa porte, ou maudit sur son banc ? Maudit dans son amour, ou maudit dans sa haine ? Maudit dans son désir, ou maudit dans son regret ? Y a-t-il une fleur sur sa tige qui n’ait été maudite, avant d’éclore, par un passant ? Une ronce, par un bélier ? Une rame par la mer ? Une bride, par une cavale ? Une rive, par le fleuve ? Une étoile, par le ciel ? Maudit ! Y a-t-il, dis-moi, un épi qui ne l’ait été par le vent ? Un terrier par un aigle ? Un sentier, par un voyageur ? Un seuil, par la bise ? Un toit, par la pluie ? Un caillou, par le torrent ? Que fait à présent la malédiction au caillou dans le sable, au seuil, au terrier, à l’épi dans le champ, puisqu’il n’y a point de seigneur pour juger ? Ne t’en inquiète pas plus qu’eux, mon amour !



Rach