L’Océan, à Ahasvérus.
Ahasvérus, arrête-toi, je t’en prie, jusqu’à ce
soir sur ma grève. Autrefois des foules d’hommes
passaient avec le bruit de leurs villes sur le
sable de mes rivages. En m’approchant de leurs
murailles, la nuit, sous la brume, j’entendais
leurs secrets échappés à demi-voix, flots
d’amour, de colère, de soupirs, d’hymnes de
prêtres, de chants de noce que j’allais mêler
avec mes flots. Souvent j’arrivais jusque sous
leurs balcons, triste, lassé de ma journée,
n’ayant trouvé dans mon chemin que joncs et
qu’algues déracinés ; et je remportais une
heure après une couronne d’or, une mitre de
diamant ou quelque vieil empire ruiné qu’un
passant me jetait à pleines mains, de son char
triomphal, pour m’amuser la nuit dans mon
abîme. Leurs tours grimpaient sur la cime de
mes rochers pour me voir de plus loin ; l’escalier
de leurs palais descendait sous mes vagues
pour m’aider à monter