Page:Quinet - Œuvres complètes, Tome VIII, 1858.djvu/303

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gardiens ne peuvent plus se lever pour ôter les verrous, voici aussi que l’Océan va se cacher dans le creux de son lit. N’as-tu pas vu, sous mes pieds, tarir la source où j’avais bu, l’étoile pâlir où j’avais arrêté mes yeux, la forêt se flétrir, qui m’avait prêté son ombre ? Fuis, fuis, si tu ne veux pas finir comme elles. Bientôt je n’aurai plus pour compagnon dans l’univers une seule herbe de bruyère debout sur sa tige. La terre sera vide autour de moi, que je marcherai encore par mon sentier ; mon ombre même me quittera ; et la dernière nuit, l’immense nuit va venir, sans que j’aie trouvé encore avec mon bâton ferré un pan de muraille pour m’asseoir, ni un hôte pour me prêter sa lampe.

Rachel.

Laisse mourir les fleurs sur leurs tiges, si leur jour est arrivé ; laisse l’étoile pâlir ; laisse la bruyère se dessécher sur son rocher ; je trouverai toujours une source dans la montagne pour t’apporter à boire, et un sentier pour te conduire. Ah ! que me font les villes et les portes des hommes où nous frappions ? Leur voix était si dure quand nous passions ! leur escalier était si triste à monter ! Toujours, quand ils nous regardaient, ils avaient l’air de maudire. J’aime mieux gravir ce dur sentier que de repasser les degrés de leur seuil.

Ahasvérus.

Mais leur trace s’efface et notre chemin se perd.

Rachel.

Ne crains rien. Marche toujours. Plus leur trace s’efface, mieux je peux reconnaître dans les vallées les pas de mon Seigneur, avec ses larges sandales, avant que les villes et les tours et les pans de murailles les eussent comblés.