Page:Quinet - Œuvres complètes, Tome VII, 1857.djvu/190

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Oh ! Ses yeux flamboyaient d’une flamme bleuâtre,
Comme une lampe antique à la voûte d’albâtre ;
Et sa pensée alors, de son ciseau profond,
Fouillait comme un sculpteur le marbre de son front.

Sa bouche en aucun temps ne s’ouvrait pour sourire.
S’il était jeune ou non, quel mot pourrait le dire ?
Et de ses premiers ans qui se souvient encor ?
Les métaux, comme sont l’airain, le bronze, ou l’or,
Dans le creuset durcis, connaissent-ils leur âge ?
Chez lui joie et douleur avaient même visage.
Et pourtant, si les ans, ou rares ou nombreux,
Et non les actions, font l’homme jeune ou vieux,
Quoique au fond de son cœur vieux par les destinées,
Oui, sans doute, il était jeune par les années.
Mais trop tôt des combats l’ardent soleil avait
De sa joue hâve et creuse emporté le duvet.
Terrible vendangeur, aux jours de vendémiaire
On disait que déjà sur le cep populaire
Son glaive avait cueilli le fruit des nations.
Mais, quoi qu’il eût d’abord fait en d’autres saisons,
Ces temps étaient passés ; et la terre frivole
Ne se rappelait rien que la moisson d’Arcole.
Or, dès que son cheval eut approché du bord,
L’immense mer sourit au messager de mort ;
Venise dans son cœur dit : " Mon heure est venue. "
Et, de son trône vide à grands pas descendue,
Venise commença de pousser des sanglots
Comme une naufragée en regardant les flots.