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Page:Régamey - Verlaine Dessinateur, 1896.djvu/53

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Ils savaient qu’ils allaient mourir pour leur chimère
Et n’avaient pas l’espoir de vaincre ; c’est pourquoi
Un orgueil douloureux crispait leur lèvre amère ;

Et c’est pourquoi leurs yeux réverbéraient la foi
Calme ironiquement des martyres stériles
Quand ils tombèrent sous les balles de la loi.

Et tous, comme à Pharsale et comme aux Thermopyles,
Vendirent cher leur vie et tinrent en échec,
Par deux fois, le courroux des généraux habiles.

Aussi, quand sous le nombre ils fléchirent, avec
Quelle rage les bons bourgeois de la milice
Tuèrent les blessés indomptés à l’œil sec !

Et dans le sang sacré des morts, où le pied glisse.
Barbotèrent, sauveurs tardifs et nasillards
Du nouveau Capitole et du Roi, leur complice !

— Jeunes morts, qui seriez aujourd’hui des vieillards,
Nous envions, hélas ! nous vos fils, nous la France,
Jusqu’au deuil qui suivit vos humbles corbillards.

Votre mort, en dépit des serments d’allégeance,
Fut-elle pas pleurée, admirée, et plus tard
Vengée, et vos vengeurs sont-ils pas sans vengeance ?

Ils gisent, vos vengeurs, à Montmartre, à Clamart,
Ou sont devenus fous au soleil de Cayenne,
Ou vivent diffamés et pauvres à l’écart.

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