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Page:Régnier - Œuvres, éd. Lacour, 1867.djvu/68

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L’on a beau faire bien, et semer ses escrits
De civette, bainjoin, de musc, et d’ambre gris ;
Qu’ils soyent pleins, relevez, et graves à l’orielle ;
Qu’ils fassent sourciller les doctes de merveilles ;
Ne pense, pour cela, estre estimé moins fol,
Et sans argent contant, qu’on te preste un licol ;
Ny qu’on n’estime plus (humeur extravagante !)
Un gros asne pourveu de mille escus de rente.
Ce malheur est venu de quelques jeunes veaux,
Qui mettent à l’encan l’honneur dans les bordeaux ;
Et ravalant Phœbus, les muses, et la grace,
Font un bouchon à vin du laurier de Parnasse ;
A qui le mal de teste est commun et fatal,
Et vont bizarrement en poste en l’hospital,
Disant, s’on n’est hargneux, et d’humeur difficile,
Que l’on est mesprisé de la troupe civile ;
Que pour estre bon poëte, il faut tenir des fous ;
Et desirent en eux, ce qu’on mesprise en tous.
Et puis en leur chanson, sottement importune,
Ils accusent les grands, le ciel et la fortune,
Qui fustez de leurs vers en sont si rebattus,
Qu’ils ont tiré cet art du nombre des vertus ;
Tiennent à mal d’esprit leurs chansons indiscrettes,
Et les mettent au rang des plus vaines sornettes.
Encore quelques grands, afin de faire voir,
De Mœcene rivaux, qu’ils ayment le sçavoir,
Nous voyent de bon œil, et tenant une gaule,
Ainsi qu’à leurs chevaux, nous en flattent l’espaule ;