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SATYRE I.

Jamais autre que toy n’eust, avecque prudence,
Vaincu de ton suject l’ingrate outrecuidance,
Et ne l’eust, comme toy, du danger préservé :
Car estant ce miracle à toy seul reservé,
Comme au Dieu du pays[1] en ses desseins parjures,
Tu faits que tes bontez excedent ses injures.
Or après tant d’exploicts finis heureusement,
Laissant aux cœurs des tiens, comme un vif monument,
Avecque ta valeur ta clémence vivante,
Dedans l’éternité de la race suivante :
Puisse-tu, comme Auguste, admirable en tes faits,
Rouller tes jours heureux en une heureuse paix ;
Ores que la justice icy bas descenduë,
Aux petits comme aux grands par tes mains est renduë ;
Que, sans peur du larron, trafique le marchand ;
Que l’innocent ne tombe aux aguets[2] du meschant ;
Et que de ta couronne, en palmes si fertile,
Le miel abondamment et la manne distile,
Comme des chesnes vieux aux jours du siècle d’or[3],
Qui renaissant sous toy reverdissent encor.

  1. Comme au Dieu du pays....] Ce vers forme une amphibologie que Regnier eût évitée s’il eût mis (vers 12) vaincu de tes sujets au lieu de vaincu de ton sujet, en construisant sa phrase de cette manière :
    Jamais autre que toy n’eust avecque prudence,
    Vaincu de tes sujets l’Ingrate outrecuidance,
    Ne les eust, comme toy, du danger préservé :
    Car étant ce miracle à toy seul réservé,
    Comme au Dieu du pays, en leurs desseins parjures,
    Tu fais que tes bontés excédent leurs injures.
  2. Aguets, vieux mot qui signifioit embûches ; d’où vient le terme de guet-appens, formé de l’ancienne expression aguet-appensé.. On dit encore être aux aguets, pour guetter.
  3. Comme des chesnes vieux.]
    Et duræ quercus sudabunt roscida mella,
    Virg., égl., IV.