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SATYRE I.

Qui n’est belle sinon en sa bisarrerie ;
Et comme un pot pourry[1] des frères mandians,
Elle forme son goust de cent ingredians.
Or, grand roy, dont la gloire en la terre espenduë,
Dans un dessein si haut rend ma muse esperduë,
Ainsi que l’œil humain le soleil ne peut voir,
L’esclat de tes vertus offusque tout sçavoir ;
Si bien que je ne sçay qui me rend plus coulpable,
Ou de dire si peu d’un suject si capable,
Ou la honte que j’ay d’estre si mal apris,
Ou la témerité de l’avoir entrepris.
Mais quoy, par ta bonté, qui toute autre surpasse,
J’espère du pardon, avecque ceste grace
Que tu liras ces vers, où jeune je m’esbas
Pour esgayer ma force ; ainsi qu’en ces combas
De fleurets on s’exerce, et dans une barriere
Aux pages l’on reveille une adresse guerriere,
Follement courageuse, afin qu’en passe-temps
Un labeur vertueux anime leur printemps,
Que leur corps se desnouë, et se desangourdisse,
Pour estre plus adroits à te faire service.
Aussi je fais de mesme en ces caprices fous :
Je sonde ma portée et me taste le pous,
Afin que s’il advient, comme un jour je l’espere,
Que Parnasse m’adopte[2] et se dise mon pere,

  1. Pot pourry… Mélange de viandes et de légumes divers. En espagnol, olla podrida.
  2. Que Parnasse m’adopte…] Cette version est celle de l’édition de 1608. Celles de 1612 et 1613 portent : Que Parnasse m’adore. Quoique faites pendant la vie de l’auteur, nous regardons ce changement comme une faute plutôt que comme une correction.