Page:Régnier - Œuvres complètes, éd. Viollet le Duc, 1853.djvu/90

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Que leur gloire il desrobe, avec ses artifices.
Les dames cependant se fondent en délices,
Lisant leurs beaux escrits, et de jour et de nuict
Les ont au cabinet souz le chevet du lict ;
Que portez à l’église, ils vallent des matines :
Tant, selon leurs discours, leurs œuvres sont divines.
Encore après cela, ils sont enfans des cieux,
Ils font journellement carrousse[1] avecq’ les dieux :
Compagnons de Minerve, et confis en science,
Un chacun d’eux pense estre une lumière en France.
Ronsard, fay-m’en raison, et vous autres esprits,
Que pour estre vivans en mes vers je n’escrits,
Pouvez-vous endurer que ces rauques cygalles
Esgallent leurs chansons à vos œuvres royalles,
Ayant vostre beau nom laschement démenty ?
Ha ! c’est que nostre siècle est en tout perverty.
Mais pourtant quel esprit, entre tant d’insolence,
Sçait trier[2] le sçavoir d’avecques l’ignorance,
Le naturel de l’art, et d’un œil avisé
Voit qui de Calliope est plus favorisé ?
Juste postérité, à tesmoin je t’appelle[3],
Toy qui, sans passion, maintiens l’œuvre immortelle,
Et qui, selon l’esprit, la grâce, et le sçavoir,

  1. Ce mot a vieilli ; il signifie débauche de vin, du mot allemand garauss, tout vidé ; on sous-entend le verre. Ménage.
  2. Trier, c’est ainsi qu’il faut lire, suivant la première édition, de 1608, et non pas tirer, qui est dans les autres éditions.
  3. Ce vers a été employé par Desmarestz de Saint-Sorlin, dans une ode qui est à la tête de son poème de Clovis, et dans un ouvrage de sa façon, intitulé : La Comparaison de la langue et de la poésie française, etc., 1670.
    Car le siècle envieux juge sans équité ;
    Mais j’en appelle à toy, juste postérité.