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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/118

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l’abbaye d’évolayne

lâtries. La nature, l’humanité, le progrès, l’amour, voilà les dieux dérisoires qu’ils nous offrent. Comprenez, Adélaïde, que la vérité est unique et que nous ne pouvons accepter pour maître, ni même pour amis ceux qui glorifient l’erreur. C’est pourquoi vous m’avez vu fermer tant de livres qui me furent chers autrefois. Ce que j’ai fait, ne pouvez-vous le faire aussi ?

Ah ! lorsqu’il s’adressait ainsi à elle, avec ce regard de prière et de confiance, elle se sentait capable de toutes les générosités, ne redoutait rien que de le décevoir. D’ailleurs, il y avait en elle des forces qui, trop violemment comprimées, cherchaient à se dépenser dans le sacrifice. Son amour qui ne recevait plus rien devait donner pour s’assouvir. Elle se dépouilla de tout ce qui lui était cher, elle n’ouvrit plus les livres qui avaient été sa nourriture, s’interdit tout retour vers le passé, tout élan vers l’avenir. Elle cessa d’être libre, d’être oisive. L’église fut son refuge, la prière son occupation constante, la liturgie son étude, les textes sacrés la seule poésie permise. Michel qui la voyait si changée s’émerveillait. Il eut un jour un cri d’orgueil et de tendresse :

— Je ne m’étais pas trompé sur votre âme. Elle était faite pour les plus hauts sommets.

Elle se cacha le visage sur son épaule en disant :

— Je te dois tout, c’est toi qui m’as créée !

Étonné de cette action de grâce idolâtre, il l’en reprit sévèrement :

— Ne me confondez pas avec Dieu. Lui seul crée et sauve. L’œuvre qui s’est accomplie en vous n’est point humaine.

Elle en convint aussitôt, se reprocha son élan