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Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/238

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l’abbaye d’évolayne

sous le chêne où le père Athanase l’avait reçue bien souvent. À quelques mètres de là, sur sa droite, s’ouvrait, au milieu des murs qui entouraient le couvent, la porte de clôture. Nul moine n’en pouvait sortir sans qu’elle l’aperçût. En face d’elle s’étendait la grande vallée verte, entourée par un cercle de collines. Quelques signes annonçaient l’automne. Septembre commençait à jeter à travers l’été tropical un immense courant de fraîcheur qui, le matin et le soir, persistait sous l’ardeur même du soleil. Çà et là, dans les arbres, une branche jaunissante, comme dans les cheveux d’une femme la première mèche blanche, attestait que l’hiver et la mort travaillaient déjà sourdement la nature encore vigoureuse. L’atmosphère, quoique pure, n’avait pas la limpidité des jours d’été. Le paysage brillait d’un éclat tempéré comme un visage sous une gaze légère. Un voile impalpable qui n’était fait ni de nuages ni de brumes, mais d’une certaine qualité de l’air, demeurait tendu sur le ciel d’un bleu faible, sur les prairies, sur les horizons indistincts. Il atténuait les couleurs, fondait les contours et les formes parmi ses ondulations vaporeuses, donnait à la lumière une adorable suavité.

Adélaïde regardait froidement ce beau jour. La fatigue de l’insomnie pesait sur elle avec l’appréhension d’une entrevue qu’elle voulait définitive. Elle se trouvait dans un état bizarre, où l’agitation se mêlait à l’engourdissement, la fièvre à la torpeur ! Elle songeait à la musaraigne blessée, à tous ces animaux infimes qui saignent et meurent à tout instant dans les eaux, les herbes, l’air et auxquels Dieu a refusé le cri, afin que leur