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l’abbaye d’évolayne

quer le présent, de chercher à prévoir l’avenir. Elle apportait à sonder son cœur et celui de Michel une extrême attention, car ce n’était point toujours une tâche facile. Il y avait dans leur existence, pourtant douce, un mystère. Elle ne s’expliquait pas pourquoi son bonheur, bien que grand, restait à ce point dépourvu de sécurité.

Peut-être l’avait-elle attendu trop longtemps et trop longtemps douté de pouvoir l’atteindre. Elle ne l’avait pas connu, enfant, dans ce couvent où elle entra à l’âge de sept ans, ayant perdu sa mère, où elle grandit, mal adaptée à son milieu, sans amies parmi ses compagnes, se créant, faute de mieux, des joies imaginaires, s’évadant d’une réalité monotone dans un monde chimérique qui tombait en ruines et se reformait sans cesse. Elle ne le connut pas davantage, adolescente au foyer de son père remarié, où elle subit le joug d’une belle-mère dévote et bornée qui s’appliquait à comprimer tous les élans de sa jeunesse sous les règles étroites des conventions religieuses et sociales. Dans l’exaltation de la solitude, ses aspirations mal définies vers le bonheur se changèrent en un désir unique, acharné, dévorant : le désir de l’amour.

À vingt-trois ans, après la mort de son père, elle s’évada de sa province pour venir chez son frère qui, de dix ans son aîné, exerçait la médecine à Paris. Ce fut là qu’elle rencontra Michel. Il l’intéressa tout de suite plus que les autres amis de Maurice Verdon, non point à cause de sa valeur professionnelle, qu’elle entendait vanter sans cesse dans son entourage, mais parce qu’elle sentait que cette valeur, relative à ses yeux, s’alliait à