Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/37

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
25
l’abbaye d’évolayne

leur. Tout enfant je la distinguais partout, j’en étais accablé. Et je n’ai jamais, jamais pu me familiariser avec elle.

— Mais comment, demanda Adélaïde, touchée de cet aveu, comment, étant ainsi, avez-vous choisi ce sanglant métier ?

Il rit, doucement, se moquant de lui-même :

— Ah ! voilà, j’espérais guérir tout le monde.

Et elle sut combien il était à la fois exigeant et faible, démesuré en ses espérances, prompt à souffrir lorsqu’elles étaient déçues, désarmé devant le réel. Dès lors, en même temps qu’elle admira Michel, elle eut pitié de lui. De ces deux sentiments naissait déjà l’amour. Lui, se sentant compris, l’accepta peu à peu pour confidente. Elle sut ce qu’il tentait pour ses malades. Elle partageait ses angoisses, triomphait avec lui, le consolait dans ses défaites.

Leur intimité se resserra. Ils prirent l’habitude d’aller ensemble au concert, au théâtre, de lire les mêmes livres. Ils se découvrirent une même façon de sentir. L’intelligence de Michel n’était pas froide comme beaucoup d’intelligences masculines. La beauté n’avait pas pour lui un simple intérêt de curiosité. Elle émouvait dans un même choc son esprit, son cœur, sa chair. Comme Adélaïde il aimait, au moyen de l’œuvre d’art, voir la vie s’agrandir et l’essence des choses lui apparaître. Ils éprouvaient, en soulevant le voile d’Isis, le même frisson sacré. Plus cultivé que son amie, Michel l’obligea à faire l’effort qui permet seul d’accéder aux plus hauts chefs-d’œuvre. Elle le suivait avec enthousiasme sur les chemins escarpés où il l’entraînait ; elle lisait pour lui, ne songeait