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l’abbaye d’évolayne

Elle le traitait d’ascète manqué, de mystique païen. Elle pensait qu’en lui persistait la tension morale de quatre années de guerre, durant lesquelles, soumis à l’exigence du devoir, il avait vécu prêt à toutes les immolations. De cette période, il gardait le désir de se dépasser lui-même, la soif du renoncement.

— Eh bien ! proposait-elle, partons, retirons-nous du monde. Faites-vous médecin de campagne. Vous vous dévouerez aux humbles et je les soignerai avec vous. Nous aurons une maison rustique au toit de chaume et je m’habillerai de bure, si cela vous plaît. Et je ne couperai pas mes cheveux, car ce qui fut autrefois un sacrifice, est devenu aujourd’hui la suprême élégance. Je les laisserai pendre en deux nattes et j’irai les pieds nus.

Il riait, lorsqu’elle lui disait ces choses. Mais elle sentait toujours en lui le même malaise.

Pourquoi tout cela ? Pourquoi, comblés, n’avaient-ils pour chanter leur bonheur qu’un chant amer où le thème de la lassitude alternait avec celui de la crainte ? Pourquoi, le soir de leur arrivée à Évolayne, Michel avait-il eu, en la regardant, cette expression d’adieu ? À la réflexion, elle trouva doux qu’il eût, tout à coup, sans raison, tremblé de la perdre car, d’ordinaire, c’est elle qui ressentait la peur, lui la satiété.

Aux questions qu’elle se posait sans cesse son propre cœur ne pouvait répondre, ni les bois silencieux, où elle errait en creusant ces problèmes. Elle eût aimé pouvoir expliquer ses secrètes angoisses à un être humain. Aussi fut-elle contente lorsque Michel l’engagea à aller voir à son tour