Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/143

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au débarqué du paquebot, et ces quelques jours, j’avais dû les passer en compagnie de ces excellents Duckworth qui avaient été charmants pour moi pendant la traversée de New York au Havre. Ce sont les meilleures gens du monde, mais ils sont mortellement ennuyeux. Cependant, j’aurais mauvaise grâce à en dire du mal, car ils se sont montrés pour moi aux petits soins. Mme Duckworth m’a comblée de pastilles contre le mal de mer ; M. Duckworth a veillé à ma sécurité et à ma santé. Il traînait ma chaise longue au meilleur endroit, et m’apportait mon plaid dès que le temps fraîchissait. En un mot, il a été parfait. Il m’a bien demandé deux ou trois fois de consentir à être quelque peu sa maîtresse, ajoutant qu’une maîtresse française aussi jolie que moi lui rendrait tout à fait inoubliable son séjour à Paris, mais, voyant que ses propositions ne me tentaient guère et ne me causaient point un enthousiasme excessif, il n’a pas insisté outre mesure et a rabattu plus modestement ses vues sur une jeune dame wurtembergeoise qui était au nombre des passagères et qui n’a pas beaucoup résisté aux avances du brave Duckworth, car il m’est arrivé plusieurs fois, pendant la traversée, de les apercevoir tendrement penchés sur la lisse.

Il m’a même semblé que Duckworth était parvenu à ses fins avant d’aborder au Havre. En y débarquant, l’aimable Allemande portait au doigt une fort belle bague qui paraissait bien provenir des libéralités reconnaissantes de notre ami.

Ce succès l’avait mis en gaieté et, pendant la semaine où nous habitâmes ensemble le Palace Hôtel, nous fîmes une forte fête. Chaque soir, on allait souper après le théâtre. Malheureusement, Duckworth est un soupeur plus bruyant que brillant. Vous connaissez ses habitudes de table et vous pensez que j’eus bientôt assez