Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/212

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Reste à savoir si ce que j’ai éprouvé est dû à ma propre initiative ou si je n’ai fait que subir, à mon insu, le contre-coup d’un sentiment inopiné que M. Delbray aurait conçu pour moi.

Or, j’ai beau y songer, rien dans la conduite de M. Delbray ne peut me laisser croire qu’il ressente pour moi autre chose que de l’amitié. C’est donc alors de mon côté que vient le changement, et cela me rend bien plus difficile la recherche que je tente. Il est infiniment plus aisé de s’apercevoir que l’on est aimé que de convenir que l’on aime. Et, d’ailleurs, je me demande maintenant si j’ai grand intérêt à élucider ce second point. Tout à l’heure, cela me paraissait indispensable ; à présent, cela me semble beaucoup moins utile. Peut-être y a-t-il dans mon revirement une certaine lâcheté ? Peut-être, sans que je me l’avoue, m’est-il plus agréable de demeurer dans l’expectative ? Nous autres femmes, n’éprouvons-nous pas, à sentir l’amour rôder autour de nous, un certain plaisir ? Quoi que j’en aie dit tout à l’heure, nous souhaitons moins que je ne le prétendais sa brusque et violente révélation, surtout si c’est en nous qu’elle se produit. Pourquoi donc me priver d’une distraction, en somme inoffensive ? Si j’ai un sentiment un peu trop tendre pour mon ami Julien Delbray, à quoi bon me le formuler ? Si je le constate, d’ailleurs, est-il bien sûr que j’aie le courage de me l’interdire ? Un pareil sentiment colore et nuance gentiment la vie. Qu’il devienne trop importun, on peut toujours trouver le moyen de le satisfaire. Et ce moyen est si simple, mon cher Jérôme ! Il consiste à enlever sa robe, à laisser tomber sa chemise et à passer quelques heures au lit avec l’ami qui nous a plu. Ce n’est pas une telle affaire et il ne faut pas la considérer pour plus qu’elle n’est. Et puis, après tout, il est peu probable que j’en arrive à ces extrémités, d’au-