Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/240

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cieuse. Le quartier-maître vient de piquer le quart. La sonnerie a vibré, aiguë, dans l’air marin. Une légère humidité nocturne rafraîchit mes mains fiévreuses.

La sortie de Marseille a été un peu dure, comme il arrive souvent. À quatre heures, l’Amphisbène a appareillé. On a largué les amarres. La sirène a gémi longuement ; avec lenteur et précaution, le yacht s’est dégagé des navires qui l’entouraient, puis il a dépassé le Fort Saint-Jean et nous avons pris la mer. Une houle lumineuse nous accueillit. L’eau était d’un bleu sombre et magnifique, fatigante aux yeux. Nous avons navigué entre des îles, le long d’une côte rocheuse et découpée que le soleil couchant a peinte de couleurs magnifiques.

Je suis monté sur la passerelle. Ensuite, le crépuscule est venu. À table, personne n’a paru, sauf Gernon, qui s’est risqué jusqu’à la salle à manger. Le mal de mer, dont il avait souffert, entre l’île Pomèque et l’île Ratonneau, l’avait mis en appétit. Il mange d’une façon effroyable, comme quelqu’un à qui son dîner ne coûte rien. Je crois que cette perspective de passer deux mois sans bourse délier l’a déterminé pour beaucoup à accepter l’invitation de Mme Bruvannes. Cependant, après ce dîner plantureux, il a paru de nouveau inquiet et il n’a pas tardé à s’éclipser. La mer est pourtant, à présent, parfaitement calme, si calme que j’écris facilement. Si mes lignes sont irrégulières, c’est que ma main tremble de crainte et d’allégresse…

Comme mon cœur bat ! Je pense à elle. Toute