Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/243

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5 juin. — Nous sommes ancrés dans la baie de Bonifacio, devant le petit quai que domine la ville en échelons et sa grosse citadelle jaune. Le port ne contient, avec le yacht, que quelques barques et quelques voiliers. La baie, dont l’entrée droite s’élargit pour former une sorte de lac aux eaux parfaitement calmes, est entourée de hautes murailles de rochers à pic, creusés d’anfractuosités bizarres, de grottes humides et sombres. Après déjeuner, je propose de descendre à terre, mais Mme Bruvannes y semble peu disposée. Pour Antoine, c’est l’heure de la sieste. Mme Subagny est mal remise de son début de navigation et elle déclare qu’elle ne laissera sous aucun prétexte M. Subagny ajouter les fatigues d’une promenade à celles d’une nuit agitée. M. Gernon déclare que Bonifacio ne lui semble avoir rien de bien intéressant. Seule Mme de Lérins accepte ma proposition. Je pense qu’il en sera souvent ainsi et je m’en réjouis. Comme il fait assez chaud, elle est allée mettre une robe légère et je l’attends en causant avec M. Gernon.

M. Gernon s’est composé un étrange costume qu’il a dû acheter chez le fripier. Il porte une espèce de vareuse gros bleu, d’un drap si râpé qu’à certaine place il a l’air verni. À cette vareuse il a joint un pantalon de toile blanche légèrement effrangé. Il a remplacé son canotier de paille habituel par un casque colonial. Ce casque est côtelé comme un melon et son couvre-nuque descend si bas qu’à certains mouvements il rencontre le col de la vareuse, ce qui le fait se soulever et en rabaisse la visière