Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/249

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bien qu’il prétende qu’il n’a jamais été plus bas et qu’il ne guérira jamais. Je le laisse dire, et je suis persuadé pour ma part que nous le ramènerons à Marseille en parfaite santé. Aujourd’hui, il est, moralement, dans un de ses mauvais jours. À ces moments, je tâche de le remonter en lui persuadant que rien n’est perdu, qu’il traverse une crise dont il se tirera certainement avec de la patience et de la volonté, que c’est l’avis du docteur Tullier et de tous les médecins qu’il a consultés. D’ordinaire, ces discours le mettent en colère ; il se lamente, peste contre sa mauvaise chance et maudit une fois de plus la stupide existence qu’il a menée.

Je m’étais assis à côté de lui et j’écoutais distraitement ses doléances en regardant Mme  de Lérins qui faisait les cent pas sur le pont. Il s’aperçut de mon inattention et me dit en grognant :

— Tout de même, mon cher, tu devrais m’écouter un peu mieux. Ah ! je sais bien que je suis devenu le pire des raseurs avec ma santé ! D’ailleurs, je n’ai pas le droit de t’en vouloir. Tu as été gentil de consentir à nous accompagner dans cet assommant voyage… Mais ne proteste donc pas, c’est inutile. On s’assomme et on s’assommera sur ce bateau. C’est inévitable. Tu sais comment je comprends la navigation, moi ! À la manière de Morland, le banquier américain. Tous les ans, il emmène quelques amis sur son yacht. On le charge de caisses de champagne et de porto et on y joue au poker du matin au soir… L’année dernière ils