Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/278

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courtes et j’éprouvais, à la voir ainsi, une langueur inexprimable. Elle est restée longtemps immobile. À quoi réfléchissait-elle ainsi, pensive ? Deux matelots ont passé derrière elle, pieds nus, en leur costume de toile, et l’un d’eux s’est retourné pour lui lancer un regard naïvement admiratif. D’ailleurs, cette admiration, je la lis dans les yeux de tous les hommes de l’équipage, je la retrouve chez le gentil M. Bertin comme chez le grincheux M. Lamondon. On doit parler de Mme de Lérins au carré des officiers, comme au poste des matelots. À cette idée, j’éprouve comme une espèce de gêne irritée. Et cependant cette attention universelle s’explique. Mme de Lérins est la seule femme du bord. L’excellente Mme Bruvannes est d’un physique et d’un âge canoniques. Mme Subagny est dans le même cas. Il est donc naturel que l’image de Mme de Lérins hante la pensée de tous ces hommes. Il est inévitable qu’ils commentent entre eux sa grâce et sa beauté. Inévitable, certes, oui, mais il n’est pas moins vrai que, presque sans m’en rendre compte, je suis jaloux de ces inconnus. C’est peut-être ridicule, mais c’est ainsi.

Et Antoine, ne suis-je pas aussi, par minutes, jaloux de lui ? Parfois ma vieille rancune se réveille sourdement ; je me souviens de ses procédés de jadis, de sa perfidie. Alors, je me demande si je ne suis pas dupe de quelque manigance de sa part. Pourquoi m’a-t-il raconté que c’était lui qui avait fait inviter sur le yacht Mme de Lérins ? Pourquoi m’a-t-il présenté cette invitation comme