Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/290

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vre une vue admirable sur la Conque d’Or, sur Palerme, sur la mer.

Ah ! qu’elle était belle, cette heure, cette heure de paix, déjà presque crépusculaire, de lumière affaiblie et de parfums lointains ! Mais j’étais insensible à son charme, indifférent à ses attraits. Que me faisaient ces jardins étagés, cette plaine harmonieuse et odorante, cette ville, et cette mer limpide et bleue que bornait l’horizon ! Une seule pensée m’occupait tout entier : un être était auprès de moi en qui se concentraient tous mes désirs, vers qui allaient toutes mes aspirations et tous mes rêves. Et cet être, qui était là, à mes côtés, visible, tangible, peut-être ne serait-il jamais à moi ! Jamais je n’entendrais sa voix prononcer mon nom que comme celui d’un étranger. Jamais ma bouche ne toucherait ses lèvres, jamais mes mains n’étreindraient son corps. Elle ne me laisserait d’elle qu’une image fugitive parmi tant d’images qui déjà se sont enfuies ! Et les jours passeraient, comme avait passé cette journée.

Une pesante tristesse m’accablait. Je m’étais accoudé au parapet de la terrasse, en proie à une indicible mélancolie, et je sentais des larmes me monter aux yeux. J’entendais derrière moi le pas souple de Mme  de Lérins qui s’approchait. Je n’osais me retourner, quand je sentis une main se poser sur mon épaule. Je tressaillis et je levai la tête. Elle parut surprise du trouble de mon visage. Alors, je sentis soudain que le moment était venu de parler. J’avais pris la main de Mme  de Lérins