Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/334

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plus de perfection et plus de beauté. Chacun de mes regards ajoute une image à toutes celles que je conserve de vous dans ma mémoire. Mon amour s’augmente de vos gestes, de vos attitudes, de vos paroles, de votre silence même. Et cependant ce silence n’est-il pas une grave menace à mes espoirs de bonheur ? J’attends de vous un mot que vous n’avez pas dit, que vous ne direz peut-être jamais. Mais ai-je le droit de me plaindre, puisque j’ai encore celui d’espérer ? N’est-ce pas déjà une admirable faveur que vous consentiez à vivre pour mes yeux ? Laure, je vous aime en votre perfection et votre beauté.

Je ne sais si mes paroles l’ont touchée, mais il m’a semblé que sa main serrait la mienne. Elle m’a répondu d’une voix qui tremblait un peu :

— Vous vous trompez, Julien ; je ne suis pas parfaite. Craignez, mon ami, de me mettre trop haut dans vos pensées. Je ne suis qu’une femme comme tant d’autres, comme les autres, comme toutes les autres ; j’ai mes petitesses, mes frivolités, mes caprices. Comme toutes je suis faible, cruelle et inexplicable. Mais si, mais si… Une femme quelconque, je vous dis. Votre imagination seule m’a parée de mérites que je n’ai pas. Il faut être raisonnable, Julien. Il faut prendre la vie et les êtres comme ils sont…

Elle a soupiré et elle a retiré doucement sa main ; puis elle s’est levée et elle est allée s’accouder sur la lisse. Là-bas, les lumières d’Alger s’éteignaient. Seuls les réverbères du quai allongaient dans l’eau