Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/347

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parle. Hier même, Gernon m’a fait lire en manuscrit son article sur les fouilles de Cnossos. Depuis l’algarade d’Antoine, il a renoncé à faire la cour à Mme Bruvannes. Nous avons longuement parlé de Feller. Feller, comme je l’avais oublié ; il existe donc ! Feller, numismate, rue de Condé. Il y a donc une rue de Condé, un quartier de l’Odéon, une ville que l’on nomme Paris ! Soudain, j’ai repensé à mon appartement de la rue de la Baume, à mon ami Jacques de Bergy. Je l’ai revu dans son atelier, entouré de ses fines statuettes. De ces statuettes, une se détachait et se mettait subitement à grandir. Elle était voilée, mais, sous le voile qui la couvrait, je reconnaissais sa forme. Tout à coup la draperie s’écartait et j’apercevais Laure. Elle était nue. Je la parcourais tout entière du regard. Je voyais ses jambes longues et souples, son ventre harmonieux, son buste jeune, ses seins, et j’étais saisi, à cette vue, d’un violent, d’un douloureux désir sensuel. Oui, ce que je regrettais avec fureur de Laure, ce n’était plus son amour, c’était son corps et tous les secrets de ce corps. J’aurais voulu toucher sa peau, respirer son odeur. Que m’eût importé qu’elle m’aimât ou non ! Le long, le timide, le grand amour que j’avais éprouvé pour elle s’était dissipé. Ce qui m’en restait était un désir violent, brutal, passionné, animal, un désir qui m’eût jeté sur elle, les mains avides et les lèvres goulues.

Mais bientôt, je suis retombé dans ma prostration. Alors, je me suis senti une peine affreuse,