Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/364

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née, tout alla bien, mais, pendant que nous admirions les nobles ruines de l’acropole agrigentine, les deux gaillards qui nous menaient, et pour qui notre venue était déjà une rare aubaine, avaient sans doute, en bons Siciliens, employé leur temps à prévoir et à imaginer notre probable générosité, à en anticiper les bienfaits proches et à lui supposer une étendue qui n’avait pour limite que leur fantaisie.

Je ne sais jusqu’où ils allèrent dans cette voie. Ce qui est certain, c’est qu’au moment où nous réglâmes leur compte, en y ajoutant pourtant un surplus fort honorable, leur déception fut immense. Je les revois encore, ces pauvres diables, sur le petit môle où nous nous rembarquions, considérer, avec un navrement touchant et comique à la fois, dans le creux de leurs mains, la dérisoire pièce d’or où s’était réduite misérablement leur chimérique espérance. Et ce fut au milieu de leurs gesticulations furieuses et dépitées que nous quittâmes honteusement la terre de Sicile, où montait, ce soir-là, au-dessus des oliviers d’argent et des fauves collines, une ronde lune sulfureuse qui devait sembler aux pauvres hères qui nous accompagnaient de loin de leurs malédictions injustifiées la merveilleuse et illusoire monnaie dont nous les avions, hélas ! bien involontairement frustrés !

Hélas ! ce pauvre guide sicilien, n’est-ce pas l’image de ce que sont les hommes d’imagination ? Son aventure n’est-elle pas exactement la leur ? Comme lui, ils se désespèrent et se lamentent devant le rapetissement de leur rêve réalisé. Comme lui, ils ont cru à de merveilleuses aubaines et ils restent stupéfaits devant la médiocrité de l’obole. Le déboire misérable de ce Sicilien chimérique n’était-ce pas un instructif exemple de ce qui attendait Julien ? Un jour je l’eusse vu considérer, au creux de