Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/52

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et grand bien fasse à l’ami Kérambel, s’il lui convient d’employer en offrandes à la Vénus parisienne les cinq louis dont le gratifie, en signe de bienvenue à son arrivée à Paris, la bonne tante Guillidic qui ne se doute guère du chemin que prennent les cinq belles pièces neuves qu’elle tire, à l’intention de son petit-neveu, de son antique boursicot !


15 janvier. — Il fait aujourd’hui un temps affreux, un de ces temps gris et mornes qui attristent Paris et donnent envie de fuir loin de ses grisailles, de s’en aller vers un climat plus doux, vers le soleil, et vers la lumière, car la tristesse du dehors pénètre dans les appartements et l’on ne parvient pas à s’isoler de son influence. Les objets qui nous entourent la subissent comme nous. Elle atteint les tentures, renfrogne les miroirs, ternit les bronzes, décolore les tableaux. Je m’en aperçois en regardant les choses familières qui m’environnent. En vain, je cherche en elles un soutien contre la mélancolie qui m’opprime. En vain, je fais appel aux souvenirs qu’elles représentent et qui les animent d’ordinaire. En effet, la possession de chacune d’elles fut le résultat du désir d’un moment. Il n’en est pas une dont la trouvaille et l’acquisition ne m’aient causé une petite joie. C’est l’avantage de ces ameublements comme le mien, formés patiemment pièce à pièce. Tout s’y rattache directement à ma vie et y fait intimement partie de moi