Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/93

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présent, les bandes joyeuses et turbulentes sont dispersées. Les Tuileries actuelles ne sont plus celles d’autrefois. Surtout, elles ont perdu ce qui, à l’époque où j’y fréquentais, faisait pour moi leur principal attrait, la flottille de petits bateaux qui croisait sur leur bassin. L’enfance française n’a plus de marine !

Je me rappelle avec délices la première fois où m’apparut cette flottille des Tuileries. Nous étions, ma mère et moi, arrivés depuis quelques semaines à Paris. Le début de notre séjour avait été occupé par les soins de notre installation. Ma mère, pressée de quitter l’hôtel où nous étions descendus en venant du Pouliguen, avait loué un appartement rue Bonaparte. Cet appartement était au fond d’une cour assez spacieuse, mais triste. Son principal agrément était de nous donner droit à la jouissance d’un bout de jardin. Pendant que ma mère déballait, rangeait, je passais dans ce jardinet la plus grande partie de ma journée. Je ne m’amusais guère et me sentais dépaysé. Je regrettais le Pouliguen, la plage, les barques que, de ma fenêtre, je voyais rentrer au port. Je regrettais aussi la Lambarde avec son vieil escalier, ses vastes greniers, ses chambres obscures, ses corridors et son potager et son bois de chênes verts ! J’avais peine à m’habituer au changement d’existence. Yves de Kérambel lui-même, qui ne m’avait jamais été très indispensable, me manquait. Cependant, comme notre installation commençait à prendre tournure, ma mère, pour me distraire, m’emmenait faire de