Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/110

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devenait une chair aimée, de reprendre enfin cette clef qu’il avait clouée au mur, en substituant au signe de pardon dont il avait brisé l’image d’ivoire le signe de rancune éternelle dont il avait appendu là l’inflexible emblème de bronze. Mais hélas, la vengeance n’assouvit pas ; elle reste toujours un désir ; elle en a les violences et les tourments et elle se ressasse en ses retours jusqu’au bout de la vie et jusqu’au fond de la mémoire.

M. d’Heurteleure s’était senti deviné en sa torture solitaire et il en souffrait davantage. Le marbre noir de son orgueil se sillonnait de veines de sang.

Une nuit que Madame d’Heurteleure sommeillait, couchée sur son lit, elle entendit sa porte s’ouvrir doucement et elle vit son mari apparaître au seuil. Il tenait à la main une lampe baissée et marchait léger comme une ombre sans que le pavé grinçât, comme si le sombre somnambulisme de son idée fixe faisait de lui un fantôme impondérable ; il traversa la chambre, se haussa, prit la clef et ressortit. Il y eut un grand silence. Une mouche réveillée par la lumière bourdonna un instant et se tut. La serrure ne