Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/304

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s’affaissa : les plis de son manteau la recouvrirent d’eux-mêmes et elle ne fut plus qu’une masse grise d’où sortait une main pâle, les doigts ouverts dans une petite flaque de sang.

Je marchai longtemps à travers la campagne jusqu’à ce que j’arrivasse au bord de la mer. Je ne l’avais jamais vue encore et je ne la regardai même pas. Il me semblait que je l’eusse portée déjà tout entière en moi, avec son grondement, son soupir, son amertume, ses teintes changeantes, depuis les douces lèvres plissées des vagues qui lèchent les joues du sable jusqu’à ses gueules en écumes qui mordent la face contractée des rocs. Plus je marchais près de son murmure, plus il me semblait m’en éloigner ; la paix entrait en moi.

A chaque aube elle s’accrut ; j’errai longtemps ; les blés jaunirent, les arbres s’effeuillèrent, l’hiver vint ; je pleurai quand je vis qu’il était tombé de la neige et je repris le chemin de la maison natale. Je retrouvai la grand’place, la façade grise, la porte.

Le heurtoir y crispait son torse de femme. Je la reconnus. Cette figure me paraissait quelque simulacre de mon passé, durci là, rapetissé en