Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/312

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est vaste et solitaire ; des routes se croisent autour de cette fontaine ! l’eau en coule continuellement claire. Si quelqu’un vient je me baisse, et, dans cette coupe de cristal, je tends à sa soif ce que j’aurais offert jadis à son envie, la gorgée inattendue et délicieuse que j’ai jadis tâché d’être pour quiconque en convoita la conviviale fraîcheur.

Voilà, ô voyageur, pourquoi tu me rencontres ici. Je t’ai parlé pour t’apprendre l’erreur d’une vie douloureuse.

La nuit s’accroît, poursuis ta route, et quand tu heurteras de ton bâton la porte de celle qui t’aime, que, dénouant tes sandales, tu lui auras dit les péripéties de ton voyage et la rencontre singulière, au lieu d’écouter les questions de sa curiosité ou de sa sollicitude, sans réponse, ferme sa bouche d’un long baiser.

Les paroles sont vaines ; je me tais ; adieu. L’amour est un dieu muet qui n’a de statues que la forme de notre désir.

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