Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/91

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se mêlassent point, attaché par une corde à un piquet. Ils broutaient tranquillement. Notre approche les épeura ; nous les voyions alors tourner en rond autour du pieu, comme pris de folie, et, sur cette lande sauvage, ces moutons sorciers semblaient tracer des cercles maléfiques.

J’interrogeai l’homme qui me conduisait. Il me raconta les terribles hivers de l’île, la tempête ruée à l’assaut des côtes, les portes entrebâillées, les maisons accroupies, les habitants forcés à ramper par la force du vent, tout ce pauvre peuple animal, opposant à l’intempérie sa posture bestiale et son vêtement de laine. Nous marchions toujours ; le vent augmentait à mesure que le terrain s’exhaussait. On sentait son étreinte. Sa sournoiserie se faisait brutale. Son attaque fourbe rusait ; sa fuite même déconcertait.

Nous étions maintenant sur un plateau de falaise en éperon croulant droit en la mer ses blocs qu’assaillait la marée. C’était un double tumulte, l’un, incohérent, l’autre, pétrifié. Des flocons d’écume passaient sur nos têtes.

La haute table de pierre se dressait là. Sous