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LES JEUX RUSTIQUES ET DIVINS


L’OBOLE


Toi qui es un Vivant et moi qui suis une Ombre,
Parlons-nous d’un bord à l’autre du fleuve sombre
Dont l’onde coule encore entre nos Destinées,
Et dis-moi, ce printemps, si les brises sont nées,
Si le noir cep toujours porte la grappe lourde,
Si le vin frais à l’outre est tiède dans la gourde,
Et si les rauques paons et si les coqs sonores
Chantent au crépuscule et chantent à l’aurore,
Si l’abeille bourdonne et si le cygne est blanc,
Si le ciel, chaque soir, s’étoile, si le vent
Penche l’arbre qu’il tord et courbe les blés longs,
S’il est tantôt zéphyre et tantôt aquilon,
Brusque ou sournois, âpre ou léger, tendre ou farouche,
Mystérieux, soufflant sa force à pleine bouche
Ou faible et caressant, trop bas pour que l’entende.
Le brin d’herbe qui plie ou la feuille qui tremble ;
Dis-nous, versent-elles encore, nos fontaines,
Dans leurs bassins rompus leurs vasques encor pleines ?