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ARÉTHUSE


LE CIPPE


 
Je voue à mon Destin ce Cippe ! Ni les îles
Langoureuses parmi les mers, ni les faucilles
D’argent clair qu’on délaisse, un jour, pour l’ancre d’or,
La houle des moissons, ni le calme du port
N’ont bercé ma tristesse et n’ont comblé mes mains ;
Je consacre ce Cippe à mon triste Destin.
Je n’y sculpterai pas de grappes ni les cornes,
Que le bouc, front à front, heurte à celles du faune,
Ni les thyrses ou bien des conques de la mer,
Car la forêt fut vide et le pré fut désert,
Et l’écume des flots n’a lavé sur ma proue
Aucun dieu souriant aux syrtes qu’il déjoue ;
Nul visage ne m’a souri dans les fontaines,
Et la face du vent qui parle entre les chênes
S’est enfuie à jamais, et jamais, je n’ai vu
Le Destin innocent ainsi qu’un enfant nu
Venir à moi, avec les mains ivres de roses
Que mordent les boucs noirs ou que flairent les faunes.