Page:Régnier - Les Jeux rustiques et divins, 1897, 2e éd.djvu/58

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
54
LES JEUX RUSTIQUES ET DIVINS

Cette Dormeuse enfin que je ne connais pas.
Car je ne sais ni sa pensée, ni ses pas,
Ni quels Destins l’ont ici amenée
Au soir où je la vis debout près de la mer
Et pure comme si elle était née,
Svelte de quelque conque ou blanche d’une écume,
Du sable de la grève ou du sel de la mer !
Est-elle une
De ces captives que les hautes nefs de bois et d’or
Ravissent à la rive et mènent vers le port
Et qu’on vend au retour sur le môle
Avec le corail et les oiseaux ?
Son enfance erra-t-elle auprès des calmes eaux
D’un fleuve qu’elle aura suivi de saule en saule ?
A-t-elle porté l’amphore sur l’épaule
Ou l’urne funéraire en ses pieuses mains
Et sur les asphodèles du chemin
Ses pieds ont-ils marché vers un temple de marbre ?
En tes songes as-tu des villes et des arbres
Ou si la vaste mer est ta seule mémoire ?
J’ai soif de te connaître, ô sœur, et je veux boire
À ton passé comme à la source entre les saules ;
Lève-toi appuyée, ô sœur, sur mon épaule.
Marchons l’un près de l’autre et mirons nos visages
Face à face au miroir de nos doubles pensées
Avec l’emblème de nos deux mains enlacées ;