Page:Régnier - Les Médailles d’argile, 1903.djvu/37

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Et, du geste, elle montre à ses pieds devant elle,
Ironique risée à sa soif éternelle,
Des débris de cristal et des morceaux d’argile ;
Et Toi, jadis si belle et sveltement agile,
À quel mauvais festin as-tu donc pris ta part
Que, la chair alourdie et les cheveux épars,
Tu chancelles d’ivresse en ta robe vineuse ?
Va-t’en ! Et Toi, dis-moi la douleur qui te creuse
La joue ainsi ? pourquoi crispes-tu tes deux mains
Mystérieusement dans l’ombre de ton sein,
Pour cacher le serpent par qui, de veine en veine,
Coule en ton âcre sang le venin de la haine ?
Et Toi qui visitas l’Orgueil, qu’apportes-tu ?
Cette pourpre en lambeaux et ce sceptre tordu.
Et Toi encor qui ris et, de sueur couverte
D’être allée au Désir avec tes mains ouvertes,
Reviens de son étreinte enivrante et farouche
Lacérée à la face et mordue à la bouche ?
Hélas ! qu’avez-vous fait de moi, ô mes Pensées ?
Hélas ! qu’avez-vous fait de vous, ô mes Pensées ?
Mais Toi qui partais chaste, ô Toi qui partais nue
Et seule de tes sœurs ne m’es pas revenue,
C’est vers Toi, à travers moi-même que j’irai.
Tu es restée au fond de quelque bois sacré
Assise solitaire aux pieds nus de l’Amour
Et, taciturne, vous échangez, tour à tour,