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LA DOUBLE MAÎTRESSE

Elle se tenait debout, en pleine lumière, sous le portique de treillage, essoufflée, car elle avait couru d’un trait jusque-là, et toute confuse et comme prête à pleurer. Son corsage à pointe lui faisait une taille longue et menue dans le bouffant des paniers. Ses épaules nues et tièdes frissonnaient un peu. Son visage était charmant et allait bien avec la fraîcheur de toute sa personne. Elle restait là, immobile et rougissante, puis la petite moue de ses belles lèvres s’acheva en sourire. Elle portait à la main un petit éventail fermé qu’elle ouvrit et elle entra dans la salle de bal d’un mouvement délicieux et hardi.

Sa vue causa une surprise et une admiration ; comment reconnaître la petite Julie en cette belle demoiselle de Mausseuil ? Sa beauté imprévue s’était soudain épanouie. M. du Fresnay jubilait. On s’empressa autour d’elle. M. de Vidrecourt lui fit un compliment tout militaire. Quant au gros Portebize qui, la veille encore, ne remarquait pas plus Julie que si elle n’eût pas existé, il se déclarait, à qui voulait l’entendre, ébloui de ce miracle, et ce fut de lui que la jeune fille entendit le premier propos galant. Il ne la quitta pas de la soirée et ce fut encore à son bras que, le bal terminé, il se rendit sur le pré pour voir la fête rustique où dansaient les valets et les paysans.

Là, c’était M. Le Melier, qui menait le branle. Grimpé sur un tonneau enrubanné et enguirlandé de lierre, le grave magistrat jouait de la vielle infatigablement. Il marquait la mesure du pied et de la tête, tandis qu’autour de lui les couples se