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LA DOUBLE MAÎTRESSE

Le soir, au salon, ils s’installaient derrière un paravent. M. du Fresnay sommeillait à demi en feuilletant quelque cahier de musique. Mme  du Fresnay s’endormait à moitié sur quelque ouvrage. Le rire clair de Julie ou la forte gaieté de Portebize les réveillait de temps à autre, et ils se félicitaient du regard, avec de petits signes de contentement, de voir ainsi Julie joyeuse, gaie et occupée. Une fois Portebize parti, aux bougies, en montant se coucher, on ne tarissait pas en louanges sur celui qu’on appelait dans la maison du sobriquet familier de « Gros Ami ».

Gros Ami n’avait point en lui l’étoffe d’un amant transi et langoureux, de ceux qui soupirent, implorent, supplient, se lamentent ; il avait la corruption large et active. Il discourait peu de sentiments et ne se perdait guère en subtilités ; bien au contraire, net et salé, presque cru même, si bien que par lui Julie se familiarisait moins avec les vapeurs de l’amour qu’avec ses réalités.

L’élève faisait de grands et rapides progrès. Gros Ami y allait franchement et cyniquement et, en peu de temps, en fut assez loin pour qu’il pût aider son enseignement oral de contes grivois et libertins qu’il glissait en cachette à Julie et dont il possédait, en son porte-manteau, tout un assortiment. Le singulier, c’est qu’il ne cherchait pas à mettre en pratique avec elle ce qu’il lui apprenait par ces voies diverses. Il avait son idée particulière de l’amour et en exigeait beaucoup ; il voulait de lui tout en une fois. La petite oie le tentait peu, et il ne se trouvait ni d’un âge à se contenter