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LA DOUBLE MAÎTRESSE

les yeux tournés, le visage décomposé et la bouche tordue, sans voix et sans mouvement. Il apprit des servantes qu’on venait de la relever ainsi tout à l’heure, tombée le nez sur le carreau.

Nicolas remplit la chambre de cris et de lamentations, s’arrachant les cheveux et se frappant la poitrine jusqu’à l’arrivée du médecin qu’on envoya chercher ; en attendant, le curé de Pont-aux-Belles était venu pour les sacrements et avait procédé aux onctions. On n’avait pas pris le temps d’aller jusqu’à la ville. Hilaire avait rencontré en route M. Pordubon, de Saint-Jean-la-Vigne, qui faisait sa tournée, monté sur sa mule, et l’avait amené faute de mieux. Il était âgé et bavard, mais pas trop ignorant. Il saigna.

Mme  de Galandot ne mourut pas. La secousse qu’elle avait ressentie la tint entre deux pendant plusieurs semaines et elle ne sortit de là que percluse, sans l’usage de ses membres, mais la tête intacte, et, par malheur pour Nicolas, ayant retrouvé avec ses sens toute la rancune de son grief. Les représailles en furent terribles. Mme  de Galandot ne cessait de reprocher à Nicolas ce qu’elle appelait sa faute, de lui en ressasser l’ignominie et la bassesse. Le pauvre garçon y prit le sentiment d’être un grand pécheur et vécut dans l’accablement de son opprobre. Par un raffinement extraordinaire de casuistique, elle lui interdit de s’en confesser, prétendant que le pardon pouvait lui en prétexter l’oubli et qu’il n’en trouverait la véritable pénitence que dans le suspens continuel où elle le tenait au-dessus de l’enfer.