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LA DOUBLE MAÎTRESSE

s’affaissa brusquement sur sa chaise et donna de la tête contre son assiette. On le releva, le nez barbouillé de sauce et la face écarlate. On s’empressa, mais tous les soins furent vains. La veine ouverte par la lancette du chirurgien resta sèche. Il était mort, si bien que, quand on l’eut emporté, M. de Bonfort, en se mettant au jeu, ne laissa pas de dire qu’après tout c’était encore là ce que le drôle avait jamais fait de mieux que de finir en bonne compagnie une vie que la plus mauvaise occupait d’ordinaire, et qu’il en fallait louer Dieu.

Ce trépas eut pour suites que Mme de Portebize demeura pauvre avec son fils déjà grandelet. Son miroir consulté ne lui permit pas de doute sur l’opportunité de faire retraite. Il lui indiquait discrètement que son visage, qui l’avait si bien servie, ne tarderait pas à la desservir. Aussi prit-elle le franc parti de disparaître d’un monde où elle avait paru avec un éclat qu’elle n’était plus en mesure de soutenir. Sa dot depuis longtemps dispersée, il ne restait guère à la veuve et à son fils que la terre de Bas-le-Pré, qui lui venait de ses parents et continuait à porter récolte de ses maigres arpents. Elle s’y retira donc complètement, laissant François à Paris, au collège de Navarre, où M. de Bonfort le maintint de ses deniers. Le vieux maréchal prit soin du jeune homme qui ne revit sa mère qu’au moment de partir pour le service du roi et durant la semaine qu’il vint passer à Bas-le-Pré, avant de rejoindre son régiment où il retrouva MM. de Créange et d’Oriocourt, qu’il avait connus à l’Aca-