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LA DOUBLE MAÎTRESSE

étendue de prés, de champs et de bois, et voici que, par un singulier retournement de fortune, tout cela passait aujourd’hui aux mains heureuses de François de Portebize. Le petit domaine acariâtre et rechigné accaparait la grande et forte seigneurie. Les minces sillons de l’un se continuaient des bons labours de l’autre. Les bois rachitiques s’unissaient aux riches forêts, les prés pelés aux fertiles prairies. C’était l’union des sept vaches grasses et de la vache maigre.

Il semblait à François de Portebize qu’un large souffle de bonheur venait de passer sur sa vie. Les girouettes des tourelles de Bas-le-Pré avaient tourné brusquement. Le vent avait fait battre les volets, ouvert les fenêtres, chassé la poussière ; et tout cela parce que quelqu’un qu’il ne connaissait pas était mort à Rome et parce que lui était bien vivant, prêt à jouir de ce que la vie donne à tous et, grâce à ce legs opportun, de tout ce dont l’augmente la richesse. Oh ! le digne oncle que ce Nicolas de Galandot ! Et svelte en son coquet uniforme à parements rouges, le catogan bien tressé et noué à la nuque d’un ruban noir, sur le mail qu’il parcourait entre MM. d’Oriocourt et de Créange, ses inséparables, il allait faisant sonner ses éperons, tandis qu’à son oreille une petite voix intérieure lui disait : « Eh bien ! François de Portebize, êtes-vous content ? » et ajoutait du ton de fausset d’un tabellion qui assure ses bésicles : « Seigneur de Noircourt-les-Trois-Fontaines, seigneur de Clairchamps, de Saint-Martin-le-Pieux, du Clos-Joli, des Serpentes, de Saint-Jean-la-Vigne et autres lieux, châtelain de