Page:Régnier Double maîtresse 1900.djvu/220

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
220
LA DOUBLE MAÎTRESSE

pour le combler une table entière. Il mangeait comme quatre et buvait à l’avenant ; mais, si son estomac était insatiable, sa tête était moins à l’épreuve, et, s’il n’arrivait presque jamais à apaiser complètement sa faim, il lui arrivait d’outrepasser sa soif et de ne s’en point trop bien trouver. Mlle  Damberville s’élevait vivement contre l’intempérance du chevalier et l’en châtiait par des disgrâces passagères que M. de Gurcy supportait mal et dont il se consolait à sa façon et où il pouvait. Il allait faire tapage chez les filles. C’est là que M. de Portebize l’avait rencontré. Quand le chevalier avait passé une semaine à boire et à jurer, il revenait à Mlle  Damberville, qui ne lui tenait pas rigueur davantage. Ces fugues vers la tonne et la bouteille le lui ramenaient soumis et contrit, et il s’appliquait à mériter son pardon. Mlle  Damberville le regardait engloutir à larges bouchées. Il était vraiment beau à voir ainsi et contrastait singulièrement avec son ami Portebize qui mangeait finement à petite fourchette et semblait distrait et pensif, si bien qu’il sursauta quand Mlle  Damberville dit à la ronde, de sa voix claire :

— « Je ne doute point, Messieurs, que nous ne donnions grande satisfaction à M. de Portebize en parlant de l’amour. À l’âge de Monsieur, et avec sa figure, ce sujet doit être sa principale préoccupation, et il ne saurait manquer de nous savoir gré de répondre ainsi au secret penchant de son esprit. D’ailleurs, nous sommes tous ici gens d’expérience en la matière, et nos propos ne pour-