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LA DOUBLE MAÎTRESSE

trente-huit ans passés. Jusque-là, j’avais couru un peu à droite et à gauche. Certes, je n’entends point être ingrat envers les rencontres que le hasard m’a procurées ; il s’en trouva de bonnes et auxquelles je n’eus rien à redire, mais je m’aperçus néanmoins que souvent je me contentais plus par moi-même que par celles qui eussent dû augmenter mon contentement par la valeur particulière de leur complaisance. La beauté donne aux sens des aides secrets et il s’agit de bien choisir ces secours voluptueux. En un mot je remarquai que je risquais fort de passer ma vie sans avoir eu les femmes que j’aurais le mieux aimé avoir eues, et c’est à cela que j’ai voulu remédier.

« Voici comment je procédai. Je regardai autour de moi avec plus d’attention que je n’avais fait jusqu’alors. Peu à peu je m’instruisis moi-même des visages qui me plaisaient le plus et je dressai un registre des personnes à qui ils appartenaient. Cela fait, je me mis à la besogne et en devoir de posséder une à une les femmes que j’avais ainsi distinguées. J’y parvins ; j’agissais avec une parfaite liberté d’esprit et je réussis à souhait, sans m’écarter une fois de la règle que je m’étais tracée. Cette constance eut pour suite bizarre de me faire paraître infidèle. On me crut volage. J’avais placé ma fidélité vis-à-vis de moi-même et je veux vous conter le seul écart que j’y fis jamais. Encore fallut-il une de ces surprises de l’amour dont nous parlions tout à l’heure.

« Je me trouvais à la campagne, en chasse, le