Page:Régnier Double maîtresse 1900.djvu/312

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laquais, à la canne des promeneurs ; traînait partout ses guenilles, se mirait aux fontaines, jouait sur les marches des chapelles et montrait aux gens, dans sa face barbouillée et sa chevelure en broussailles, l’éclat frais de sa bouche et l’éclair malicieux de ses yeux noirs.

Elle s’attachait surtout aux étrangers. Elle rôdait souvent place d’Espagne, où ils descendent à l’hôtel du Mont-d’Or, qui est réputé pour son logement et sa chère. Les sentimentales et blondes comtesses allemandes qui visitent Rome avec de jeunes conseillers auliques aux joues roses ne lui refusaient guère quelque aumône quand ils sortaient de table la bouche encore pleine. Sa chétive personne apitoyait. Elle faisait voir, à travers ses loques, ses coudes pointus. Les bons gentilshommes français qui arpentent, le nez en l’air, le pavé romain, mettaient vite la main au gousset pour se délivrer de ses instances. Mais elle guettait de préférence les milords anglais. Elle les reconnaissait à leurs faces congestionnées ou à leurs visages anguleux, à leur prestance obèse ou à leur tournure efflanquée. Elle avait remarqué avec quel regard particulier les plus vieux examinaient sa vive maigreur de fillette de treize ans. Elle les suivait dans leur promenade, et, quand l’un d’eux se trouvait à l’écart des passants, derrière un mur ou à l’abri d’un arbre, elle troussait brusquement sa robe autour de son petit corps et montrait hardiment au milord sa nudité grêle et fine, tout ambrée et déjà ombrée. Et ce tour lui valait chaque fois quelque monnaie.