Page:Régnier Double maîtresse 1900.djvu/421

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

que tu ne souffres point de loups dans ta bergerie.

— Créange, reprit M. d’Oriocourt, Créange, mon ami, nous n’avons rien à faire ici ; nous tombons mal ; l’amitié le cède à l’amour. Il règne en maître. Et nous qui comptions sur toi, mon pauvre Portebize, pour nous mener au tripot et nous conduire chez les filles !

— J’avoue, répondit M. de Portebize, que je serais assez embarrassé de vous accompagner où vous dites et que je n’y ferais guère la figure d’usage ; mais vous accepterez bien pour aujourd’hui l’hospitalité de mon Arcadie. D’ailleurs je veux justifier mon cœur à vos yeux et je ne doute point que la simple vue de Fanchon n’y suffise. La voilà justement qui vient du jardin. »

Mlle  Fanchon était délicieuse. Elle marchait sur une longue pelouse dont elle foulait doucement l’herbe molle. Parfois elle se baissait pour cueillir une fleur ou elle courait à la poursuite d’un papillon. Il en voltigeait de légers et de charmants çà et là et de la couleur même de l’été. Elle ne les attrapait point, mais y trouvait l’occasion d’étirer ses bras souples, de courber sa taille mince et de faire flotter son écharpe. Elle ne manquait aucune occasion d’être gracieuse et provocante, car elle savait que ses gestes et ses attitudes laissaient en l’esprit de son amant des images voluptueuses dont le souvenir se mêlait comme des rêves aux réalités amoureuses des plaisirs nocturnes. De plus, elle avait vu M. de Portebize debout à la porte du pavillon. Aussitôt elle courut vers lui. Les baisers qu’elle lui lançait du bout de ses doigts devan-