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LA DOUBLE MAÎTRESSE

demeura toujours parcimonieuse et dure aux pauvres. Elle distribuait peu, et l’évêque, M. de la Grangère, qui admirait sa vertu, ne pouvait pas, tout de même, louer sa charité. Il disait d’elle qu’elle était une âme au pain sec, voulant sans doute faire entendre par là son honnête sécheresse. Il lui manquait l’onction des grandes chrétiennes. Elle était plus selon l’Église que selon le Christ. Sa foi était plus vraie qu’efficace ; la dévotion n’y ajoutait aucune douceur. Son élan d’âme était une montée de l’esprit, toute verticale, sans épanchement ni rosée.

Mme  de Galandot était donc à la fois une personne pratique et pieuse. Son caractère se faisait sentir en châtaigne, par ses pointes qui étaient aiguës et dures, mais demeurait caché quant à sa substance intime. L’aspérité s’en dissimulait par le fait même qu’elle trouvait peu d’occasions de se montrer, car Mme  de Galandot avait tout établi autour d’elle de façon à être à l’aise dans sa nature, sans que rien la pût contrarier, de telle sorte qu’il était fort difficile d’en pénétrer l’intrinsèque.

Aussi, quand l’abbé Hubertet vint habiter Pont-aux-Belles, sur la recommandation épiscopale de M. de la Grangère, qui lui obtint, en 1730, l’éducation du jeune Nicolas de Galandot, il ne vit d’abord en sa mère qu’une dame noble et majestueuse.

Elle avait alors quarante-six ans, le visage plein et reposé, mais avec une tendance à jaunir, la taille gâtée et épaissie, mais encore plutôt maigre