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LA DOUBLE MAÎTRESSE

attirer ses regards, encore que le goût des hommes soit si bas et si monstrueux que la plus misérable souillon, la plus crasseuse bergère, la plus laide gaupe puissent tout de même éveiller leur désir, et ce qui le justifie le moins n’est pas ce qui le rend moins violent. »

Cela fut dit avec une sorte d’amertume rancunière. L’abbé se taisait. Mme de Galandot reprit :

— « Nicolas est pur. Ses sens dorment. Comprenez-moi, Monsieur l’abbé, il ne verra dans celle qui les éveillera que le moyen de les satisfaire. Aussi ne veux-je point voir se lier ainsi deux êtres par la seule nouveauté réciproque qu’ils se seront l’un à l’autre. Leurs jeunesses se prendront à cet attrait sensuel qui risquera de périr avec leur âge mûr et ne leur laissera que le regret d’un lien que la seule passion aura formé et que la raison n’approuvera peut-être plus. Hé quoi ! ai-je préservé mon fils des dangers extérieurs de cette sorte pour lui en fournir le péril sous mon toit même ! Non, non, l’abbé, je veux pour notre Nicolas un mariage fondé sur une sage estime, sur l’amitié des cœurs et l’entente des sentiments… Cette petite Pintel est sans doute délicate et sage, j’y consens, mais elle est trop belle… Ma bru ne le sera point. Et, pour tout vous dire, j’aimerais mieux encore, si ces circonstances de raison ne se présentent point, que l’union de mon fils ne reposât que sur un édifice de convenances et d’intérêts. Le bonheur se peut mieux trouver dans les rapports de la fortune et de l’humeur que dans un vertige des sens qui n’engendrerait à sa suite que