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LA DOUBLE MAÎTRESSE

qu’elle distinguait aux traits de la vieille dame à une petite grimace de la bouche ou à un certain clignement des yeux. Aussi était-elle admirablement prompte à se garer, à la fois prudente et hardie, avec un talent pour contrefaire, naturel et irrésistible. Elle s’exerçait à imiter la démarche et le port de sa tante ou, grimpée sur une chaise, elle présentait au miroir son petit visage qui caricaturait d’une grimace bouffonne celui de sa sévère parente. Elle poussait ce goût jusqu’à l’effronterie et ne s’en privait pas en présence même de Mme de Galandot qui ne s’apercevait de rien.

Comme de juste, le cousin Nicolas, non plus n’évita pas la moquerie. Julie observa vite son air d’ennui et d’indolence, sa façon de bâiller et le sursaut qui réprimait ce bâillement, sa démarche hésitante, sa manière de traîner sa canne sur le sable, les mains jointes derrière son dos qu’il courbait volontiers, tout le dégingandé de sa longue personne. C’est en se promenant ainsi dans ce jardin, oisif et éternellement perplexe, que Nicolas rencontrait souvent sa cousine Julie.

Elle n’allait pas à lui et ne lui adressait pas la parole et faisait semblant de ne pas le voir, mais elle le regardait en dessous, d’un œil rapide et furtif. La plupart du temps, quand il la croisait, elle baissait la tête et feignait de s’occuper à jouer, si attentive à son jeu qu’elle laissait poindre entre ses lèvres la fine pointe de sa langue rose pour la tirer ensuite toute longue au dos tourné du cousin Nicolas qui s’éloignait à petits pas, les mains derrière les basques de son habit où un petit bout