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LA DOUBLE MAÎTRESSE

laissait rien paraître de cette camaraderie. À peine si elle échangeait avec Nicolas un coup d’œil d’entente, de telle sorte que la bonne dame, retirée tout le jour en son appartement, ne se doutait pas le moins du monde que l’élève de l’abbé Hubertet préférât aux graves auteurs de la bibliothèque la société d’une petite fille de neuf ans et s’amusât avec elle, assis au bout du parc sur un vieux banc, à nouer des guirlandes de lierres dont il maniait les feuilles lisses et dont Julie caressait en riant, de ses doigts peureux, les tiges souples et velues.

Il faut dire que les cousins ne restaient pas toujours à la place où ils s’étaient rencontrés. Souvent ils faisaient le tour du parc, le long du mur d’enclos. Elle marchait devant et lui la suivait avec docilité partout où elle voulait aller, au soleil dont il avait grande peur et même à la pluie qu’il craignait fort et sous laquelle Julie aimait se promener tête nue pour sentir les gouttes lui mouiller les cheveux et lui couler dans le cou ; car le temps qui avait duré plus de deux mois presque invariablement beau commençait à se gâter. L’automne arrivait et l’époque où Julie devait retourner au Fresnay passer l’hiver et le printemps.

Ce fut un mauvais jour pour le pauvre Nicolas quand M. du Fresnay vint chercher Julie. Mme de Galandot le reçut avec froideur et congédia sèchement sa nièce. Nicolas n’osa rien montrer de son regret à sa petite amie. Il l’accompagna jusqu’au carrosse et, après lui avoir dit adieu, il s’enfuit au jardin et s’assit sur le banc désert. La mousse et le marbre en étaient moites et humides.