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LE RÉPERTOIRE NATIONAL.




Une famille fut jadis à Montréal ;
Le patron se disait issu du sang royal :
Il ne le croyait pas, mais le faisait accroire.
Il mourut à trente ans, si j’ai bonne mémoire,
Ou plutôt, si l’on m’a conté la vérité,
Laissant peu de regrets aux gens de sa cité,
Peu de biens aux enfants de son aimable épouse,
Épouse qui de lui jamais ne fut jalouse.
Elle avait vingt-cinq ans, quand son mari mourut
Dès qu’on sut l’homme en terre, on vînt, on accourut
Consoler, ranimer la jeune et belle veuve,
Qu’on croyait succomber sous la terrible épreuve.
Quand on sut que gaîment on pouvait l’aborder,
Chez elle, de partout, les galants d’abonder.
Que fit-elle avec eux ? Je ne le saurais dire ;
Et ma muse, entre nous, n’aime point à médire.
Enfin, il en vient un qu’elle veut épouser ;
Mais, pour y parvenir, il lui fallut ruser.
De ses filles déjà l’aînée est femme faite,
Est belle, aimable, gaie, enfin, presque parfaite ;
Et la mère avait beau vouloir se l’attacher,
Le galant paraissait vers le tendron pencher :
La plus jeune à ses yeux semblait aussi plus belle.
« Que ferai-je ? comment me débarrasser d’elle ?
« Je ne vois qu’un moyen, c’est de la renfermer
« En chambre, sous la clef, afin d’accoutumer
« Mon amant à me voir et seule et sans ma fille »
Quand l’amant arrivait, la mère de famille
Avait auparavant relégué dans un coin
L’objet de sa visite. Il ne se départ point ;
Il devient patient : à tout on s’accoutume.
« Ma fille a la migraine, » ou bien « elle a le rhume, »
Disait la mère ; « hélas ! son mal est radical ;
« De l’épouser, monsieur, vous vous trouveriez mal :
« D’ailleurs elle devient, de jour en jour, moins belle ;
« Je suis, à dire vrai, beaucoup plus jeune qu’elle :
« Plût à Dieu qu’elle fût, de tout point, aussi bien ;
« Car jamais, Dieu-merci, je ne me plains de rien. »
Elle dit tant, fit tant, qu’à la fin le compère
Laissa la fille en paix, pour épouser la mère.
Mais le fait dont je parle est passé de longtemps,
Citons plutôt, citons des exemples vivants.