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LE RÉPERTOIRE NATIONAL

1837.

LA PAUVRE FAMILLE.

Connaissez-vous tout ce qu’il règne d’amertume sous le toit de l’indigent ? Connaissez-vous la longueur d’un jour sans pain ? Avez-vous jamais compris tout ce qu’il y a de déchirant dans le tableau d’une pauvre famille à qui vous ne pouvez offrir que la stérilité de vos larmes ? Si votre vie n’a jamais eu une de ces phases qui vous mettent en regard de la grande école de l’infortune, si vous êtes assez isolé pour ignorer encore tout ce qu’il y a de saignant dans les douleurs d’une agonie que la faim a déterminée, si vous avez vécu jusqu’à ce jour sans concevoir l’horreur de la situation d’une veuve, d’une mère de six enfants qui meurent en demandant du pain… Dieu me pardonne ! je vous plains ! vous êtes si malheureux d’ignorer le malheur que votre vie me fait peur ! Je ne saurais pénétrer dans votre isolement d’égoïste, c’est plus froid qu’un tombeau !… Vous ne concevez donc pas la volupté qu’il y a de mêler des larmes de pitié à celles de l’infortune ! Vous êtes coupable envers vous-même de vous être privé du plus pur des plaisirs ! Pour moi, je ne troquerais pas une visite chez la bonne Geneviève, à Louvois, contre une de vos noces de village.

Geneviève est mère de six pauvres petits enfants et veuve depuis un an ; elle a en outre une grande fille de vingt ans et sa vieille mère qu’elle sert religieusement et à qui elle partage libéralement le fruit de son labeur : encore s’il suffisait ! Mais il y a si longtemps que la pauvre centenaire se meurt, que la grande fille palpite dans les étreintes du désespoir, que la famille est dans la désolation et Geneviève dans le plus affreux dénûment… pauvre Geneviève ! il y a si longtemps que ses entrailles maternelles lui brûlent, que son esprit s’agite et se trouble, que le cœur lui saigne ! ses caresses sont maintenant si stériles et son âme si percée des cris aigus des petits désespérés qui l’entourent, qu’elle est réduite à convoiter une place à côté de son époux dans la bière !