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LA RÉPUBLIQUE

DES LETTRES

L’ASSOMMOIR

(deuxième partie)

La fête de Gervaïse tombait le 19 juin. Les jours de fête, chez les Coupeau, on mettait les petits plais dans les grands ; c’étaient des noces dont on sortait ronds comme des balles, le vent e plein pour. la semaine. Il y avait un nettoyage général de la monnaie. Dès qu’o i avait quatre sous, dans le ménage, on les bouffait. On inventait des saints sur l’almanach, afiu d’avoir des prétextes de gueuletons. Virginie approuvait joliment Gervaise de se fourrer dus bons morceaux sous le nez. Lorsqu’on a un homme qui boit tout, n’est-ce pas ? c’est pain bénit de ne pas laisser la maison s’en aller en liquides et de se garnir d’abord l’estomac. Puisque l’argent filait quand même, autant valait-il faire gagner au boucher qu’au marchand de vin. Et Gervaise, agourmandie, s’abandonnait à cette excuse ; ça venait de Coupeau, s’ils n’économisaient plus un rouge liard. Il était trop sur la boisson, elle pouvait bien être un peu sur la nourriture. Elle avait encore engraissé, elle boitait davantage,, parce que sa jambe, qui s’enflait de graisse, semblait se. raccourcir à mesure. Cette année-là, un mois à l’avance, on causa de la fête. On cherchait des plats, on s’en léchait les lèvres. Toute la boutique avait une sacrée envie de nocer. Il fallait une rigolade à mort, quelque chose _de pas ordinaire et de réussi. Mon Dieu ! on ne prenait pas tous les jours du bon temps. La grosse préoccupation de la blanchisseuse était de savoir qui elle inviterait ; elle voulait douze personnes à table, pas plus, pas moins. Elle, son mari, maman Coupeau, madame Lerat, ça faisait déjà quatre personnes de la famille ; Elle aurait ensuite les Goujet et les Poisson. D’abord, elle s’était bien promis de ne pas inviter ses ouvrières, madame Putois et Clémence, pour ne pas les rendre trop familières ; mais, comme on parlait toujours de la fête devant elles et que leurs nez s’allongeaient, elle finit